Heureux Bicentenaire 2004 de l’Indépendance à mes Enfants 

 

 

  Le 1er Janvier 2004, le jour du 200ème anniversaire de l’indépendance

  haïtienne, j’inviterai mes enfants haïtiens-américains, ma fille de 8

  ans, et mon garçon de 6 ans, leurs petits cousins et cousines dans

  mon bureau, où j’aurais aligné contre le mur des tableaux de

  Toussaint Louverture, de Jean Jacques Dessalines et d’Alexandre

  Pétion, et disposé sur une petite table ronde des livres, des brochures

  et toutes sortes d’illustrations d’images et de monuments d’Haïti.

 

  Tout juste au milieu de la table, se trouvera un grand bol de soupe de

  giromont preparé par Manmy Annette, rempli de légumes, de viande

  de porc et de boeuf et autres specialités jadis interdites à leurs

  arrière-arrière-grand-pères et grand-mères à cause de leur statut

  d’esclaves.

 

  Puis, feuilletant les livres et les brochures lentement, je répondrai à

  leurs questions regardant ces super-héros qu’ils n’ont jamais vus 

  dans les programmes de télévision américains: Toussaint Louverture,

  superbe sur Bel Argent, conduisant les armées britanniques,

  espagnoles et françaises à la déroute; Dessalines, encerclé par des

  milliers de soldats français, triomphant avec quelques centaines

  d’hommes en 1802; Capois La Mort, comme dans un film, tombant par

  deux fois sous les balles et se relevant sous son cheval mort; Henri

  Christophe se battant à Savannah pour l’indépendance américaine ,

  puis bâtissant la forteresse la plus élevée de la Caraïbes ; Pétion

  envoyant des troupes pour faire libérer des esclaves en Amérique du

  Sud.  

 

  Pendant que je tournerai les pages , je m’arrangerai pour leur faire

  mémoriser les noms de ces héros,et de les leur faire

  prononcer correctement, sans l’accent anglais: “lou-vèr-tur”, non pas

  “Louvetour”  ; “Dessalin”, non pas “Disalin”;“Pétion”, non pas

  “Pitchonn”. Je leur promettrai quelques jouets et gourmandises

  s’il le faut pour les encourager. Je m’arrangerai pour que leur droit de

  connaître les exploits de leurs ancêtres ne soit point pris en otage,

  ou affecté par quelques secteurs politiques  intéressés ou par les

  choix néfastes d’un gouvernement quelconque, de leaders politiques

  de bonne ou de mauvaise foi, et de leurs partisans.  

 

  Le 1er Janvier donc, quelque soit l’entité au pouvoir, Dieu ou le

  diable, régime militaire ou régime civil , la mémoire et les victoires 

  des ancêtres héroïques seront célébrées autour de la fameuse soupe

  fumante de giromont. Personne n’entendra parler des leaders actuels,

  de quelques horizons qu’ils soient. 

 

  Bien sûr, je m’attends à ce que certains tentent de récupérer

  certaines célébrations ou non-célébrations, mais ils ne pourront pas

  récupérer les miennes avec mes enfants. Mais si le choix m’était

  donné, entre ne point célébrer avec mes enfants pour éviter le risque

  de récupération,ou priver mes enfants de la chance d’être fiers de

  leurs ancêtres, je choisirai sans hésiter la première option. Qui sait,

  peut-être qu’à force de souligner les prouesses de ces ancêtres, et de

  les camper aux côtés des actions de ceux-là qui souillent leur 

  héritage, ces leaders finiront par être “embarrassés”.

 

  Donc, en ce 1er Janvier 2004, mes enfants boiront fièrement leur

  soupe, et répéteront fièrement les noms de leurs héroïques ancêtres.

  Je nourris même l’espoir secret qu’ils iront les répéter à leurs petits

  camarades de classe.

 

Par Charlot Lucien

 Courtesy:Boston Haitian Reporter

 Une autre approche des célébrations de 2004

 

                             ____________________________

 

HOMMAGE À L’ÉTUDIANT INCONNU

 

  C’était en 1988, l’une de ses glorieuses années où ils réclamaient

  l’autonomie. Ils étaient tous là , les grandes gueules de la Fédération

  Nationale des Etudiants Haïtiens ( FENEH ) réunies à la Faculté des

  Sciences. Il y avait là aussi , incognito, les camarades du camarade

  René, les attachés des militaires, tous braillaient allègrement à qui

  voulait l’entendre, qu’ils allaient marcher ce jour là. Mais une voix

  raisonnable se fit entendre et rappela aux excités qu’ils n’avaient pas

  de permis pour cette démonstration. Une douche froide. Elle fut suivie

  par d’autres voix encore plus raisonnables: Pouvait-on ainsi violer la

  loi qu’on prétendait défendre ? C’était s’exposer stupidement aux

  matraquages, aux arrestations et possiblement à la mitraille. C’était

  vrai. On s’apprêta donc à renvoyer la marche, raisonnablement. Puis

  il s’avança au milieu de l’allée centrale, lunettes épaisses, pantalon

  flottant sur un corps chétif. Il était de la Faculté de Médecine. Il parla

  d’une voix frêle :

 

  - J’ai deux sœurs qui se moquent de moi parce que je suis toujours le

  premier à me jeter sous un lit dès que j’entends le bruit d’une balle

  dans le quartier. Mais si aujourd’hui, après avoir annoncé pendant deux

  semaines cette marche des étudiants, nous décidons de changer

  d’avis...je m’en fous, je marcherai seul.

 

  Ils bondirent à l’unisson, même les dénonciateurs. Ils se jetèrent dans

  dans les rues, marchèrent à la barbe des militaires, et s’assirent

  sagement pour chanter La Dessalinienne quand les soldats les

  entourèrent.

 

  Dix- sept ans plus tard, j’ignore toujours qui tu es, d’où tu es, où tu es

  aujourd’hui mon ami. Je n’ai pas eu la chance de te serrer la main ,

  mais ce jour-là , tu m’appris quelque chose. J’ai été content d’avoir

  respiré le même air que toi. Cette page est tienne. Étudiant inconnu.

 

 

Par Charlot Lucien

Texte paru dans “Ces Grosses Têtes de l’actualité - Vol .III, sortie , Mai 2004

 

 

 

 Peintures de Charlot Lucien

Le danseur au tambour

Le poids de l’esclavage

Le déni de l’irréversible

La beauté et le tambour

Toussaint sur son cheval Bel Argent

Toussaint enfermé au fort de Joux

Passivité

 

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